Fermer l'Aparenthèse
- Jean-Marie
- 20 févr. 2024
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Dernière mise à jour : 20 févr. 2024
Quand nous l’avons ouverte, avec Florence, ce fut délicat. Beaucoup de temps à préparer, à installer, à construire… Beaucoup de pensées chargées de crainte, d’espoir, de projections, de doutes. Nous avions toute la théorie, toute l’observation comme uniques bagages… Nous allions apprendre la pratique, le temps réel, nous allions nous confronter à la satisfaction ou à l’insatisfaction de nos futurs clients, à la viabilité matérielle ou à l’absence de viabilité.
Quand nous l’avons ouverte, l’Aparenthèse, nous savions qu’un jour il faudrait la fermer. Nous projetions avec espoir, avec envie que cette fermeture se ferait avec le sentiment d’un devoir accompli, dans la sérénité et le plaisir d’avoir fait et d’avoir bien fait. Nous espérions secrètement que les clients seraient devenus des amis, que nous nous serions inscrits dans le paysage et dans la vie de cette petite ville de Corps.
Quand elle fut bien ouverte l’Aparenthèse, quand nous étions au quotidien en phase avec la phrase qui s’écrivait jour après jour en menus détails en quelques recettes en quelques mets, nous y mettions toute notre énergie, toute notre envie, tout notre temps. Nous comptions, décomptions, préparions, achalandions, imaginions, le plaisir était, les nuits étaient courtes.
Quand elle fut bien ouverte l’Aparenthèse, plus personne ne pensait qu’il conviendrait de la fermer puisque toujours en présence en accueil, en demain ou à la semaine prochaine. Mais dans l’Aparenthèse, les deux qui y œuvraient, ne comptant pas leur temps, ne comptant pas les heures, ne comptant que sur l’envie et la détermination, ont commencé à accuser la fatigue. Les corps là, ici, toujours présents mais les corps las. Il faut tenir le coup !
Quand elle était bien ouverte l’Aparenthèse, à force de nuits courtes, à force de ne plus rien voir à côté, à force de corps las, avec Florence nous nous sommes éloignés. Le commun du projet commençait à peser, ce qui était ensemble ne se conjuguait plus. Partir pour ne pas déchirer le lien, fermer l’Aparenthèse, pour que notre histoire puisse continuer à être histoire, à être histoire d’amour se fit prédominant et devint décision.
Quand elle se fermera l’Aparenthèse, nous serons les plus tristes ! Nous serons tristes pour l’aujourd’hui, nous serons tristes de la perte des beaux souvenir d’hier avec belles rencontres sourires et contentements. Mais quand elle fermera l’Aparenthèse, nous serons heureux d’avoir pris décision qui permette à notre relation, à notre amour de perdurer, qui permette à nos chemins de rester près l’un de l’autre.
Elle fermera tout bientôt l’Aparenthèse, dimanche 25 février 2024. Milan s’en va honorer d’autres engagements, Florence est dans sa nouvelle fonction en dirigeant l’Association Neige et Merveilles et moi je vais préparer mon déménagement vers Chauffayer, je vais nettoyer, ranger, réorganiser les parties communes des réserves et des caves. Je vais continuer à accueillir durant le mois de mars le jeudi matin jour du marché.
Elle fermera bientôt l’Aparenthèse, dimanche 25 février 2024. Nous avons décidé de ne pas rompre le bail commercial afin de laisser en vente ce petit établissement qui a montré qu’il pouvait avoir utilité sociale. Nous espérons encore pouvoir transmettre cet outil à des belles personnes qui sauront continuer à le faire vivre, qui continueront à servir et à générer plaisirs et bon moments pour les amis et les clients.
Quand elle sera fermée l’Aparenthèse, je rejoindrais Florence dans la haute vallée de la Roya, à Tende, pour tenter de faire apprécier mes savoir-faire de cuisinier pour une saison estival qui s’achèvera en octobre. Si l’Aparenthèse ne s’est pas rouverte en mon absence parce que personne encore n’a souhaité la reprendre, je ferais mon retour discrètement et soulèverait le rideau métallique. Selon ma santé et le fil de l’histoire, je remettrais le tablier ou je ferais valoir mes droits à la retraite.
Corps le 20 février 2024
Jean-Marie Giraud
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